La peinture est une expérience à vivre en présence directe. 
Il faut sans cesse le répéter - Parler de peinture peut sembler inutile.
 L'écran ou le livre ne proposent que des appels ou des rappels de cette expérience.
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L'appétit du regard
      Il ne s'agit pas ici de parler de ma peinture mais plutôt brièvement de mon parcours et de quelques idées récurrentes. Mes débuts ont été une immersion lente mais persistante dans l'étude assidue des écrits sur l'Art intimement liés et en parallèle avec les milliers de visites de musées et galeries de part le monde. Ma pratique artistique fut d'une persévérance inébranlable et d'une quête obsessionnelle de la vérité de la "chair" en peinture, visant à défaire la représentation pour faire surgir une présence, un "fait pictural".
De nature plutôt discret et silencieux, j'ai cependant toujours exposé (sauf volontairement de 1982 à 1992). Depuis ma première exposition en galerie en 1975, j'ai montré mon travail dans de nombreuses villes à travers le monde : Nantes, Dallas, Houston, Strasbourg, Lille, Quimper, Paris, Chicago, New York, Séoul, Bruxelles, Dubaï, etc etc …
Comme pour la vie de chacun d'entre-nous, ma vie/mon oeuvre fut inextricablement liée à la contingence: le lieu de naissance, l'époque, le milieu social et culturel, la santé si prégnante, les produits disponibles sur le marché, le poids de l'histoire de l'art, le marché de l'art, les contraintes financières etc... (par exemple deux enfants dans l'année de mes 20 ans - un travail alimentaire en radiologie médicale). On peint ce que l'on est, malgré soi, et c'est une lutte pour résister aux contraintes car tout est fait pour vous empêcher de peindre.
Gérard Pairé s'applique à croiser son œuvre avec son aléa, profond, privé et secret : "la forme peinte prend sens, comme l'identité du peintre, parce qu'elle est hasardeuse, parce qu'elle est en constante évolution, parce qu'elle est en sursis : semblable à l'estuaire prenant sens au rythme des marées (Gillard 1996).
J’ai vu le jour sur les berges de l'estuaire de la Loire, c’est « Le territoire du vide » dont parlent les Orientaux; un lieu où les droites de la perspective s’écartent, un espace ouvert vers le large, l’aventure. C’est un territoire qui pourrait être le lieu par excellence de la plasticité, extrêmement marqué par le temps des marées; un climat esthétique où les brumes, les pluies, les flux et le sable, les nuages et leurs reflets, le vent, créent cet espace indifférencié, un « monde flottant » si chinois. 
Ma peinture va s'intéresser à elle-même et s'interroger en action sur la logique interne de son médium. J’ai senti plus ou moins intuitivement l'importance des flux, le subtil échange entre la surface et la profondeur, entre le fini / infini de la matière, et il me semble que je tente de déjouer cette "surface picturale" pour atteindre un espace, une ouverture sur une insondable profondeur; et pour tenter d’exprimer l’Impermanence - concept dans la pensée bouddhique.
Quand un artiste débute son oeuvre ou une peinture, il est plein de "clichés": les siens et ceux des autres. Comme certains peintres de ma génération et ceux de la génération précédente (par exemple Hantaï, Morris Louis ou Helen Frankenthaler et d'autres abstraits américains) j'ai "faussement" dégagé le geste pictural d'un certain psychologisme, avec comme stratégie, celle de ne pas avoir à trop oeuvrer.
« ...la main, à défaut d'être angélique, se fait aristocratique : elle n'est plus main-d'œuvre… »  extrait en 1996 d'un livret autour de ma peinture par Laurent Gillard.

Dernièrement (2023) avec la reprise des polycarbonates thermophormés, mon processus ne permet plus au « je »  d’intervenir dans la phase finale de ma pratique. Il existe maintenant une ligne inorganique ou la poésie des fluides devient l’objet de l’intention pour un résultat final qui m'échappe. Avec ce processus inconciliable: je produis des traces ou le "je" disparait avec cette peinture fluide qui semble vierge de toutes traces. Telle la persévérance du danseur qui vous épargne de voir tout le travail et les souffrances qu'il lui a fallu vaincre, pour arriver à cette grâce qui nous donne une telle joie.
Je deviens le spectateur de quelque chose qui se fait là devant mes yeuxIl y a une certaine élégance à laisser la peinture se faire, offrant une joie de vivre au-delà de tout.

En fuyant l’illustration, le narratif, j'ai cherché l'imprévu, joué avec l'aléa en évitant de répéter les autres et de me répéter. Mon constant besoin de faire de la peinture est nourri par mon bonheur d’être surpris chaque jour par ce que je fais.
"J'ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant" disait Picasso. Je dirais un peu différemment: je désire ressentir de nouveau encore l'intense émotion des premières fois. L’absence de soi face à la naissance d'une peinture: c’est l’ambiguïté de capter une éternelle première fois d’un être sans métier, qui pourtant en a un.
Qu'en est-il de notre liberté dans un monde où tout semble si fluide, si rapide, si prédéterminé? Notre monde est de plus en plus dédoublé et le faux semble plus vrai que le vraiVoici naître un monde kafkaïen, "travaillé" de plus en plus par     l'IA et où l'on se sentira impuissant face au pouvoir des entreprises les plus puissantes du monde.
Je revendique le corps, le réel, la texture de la peinture. Je l’exhibe et la délivre en toute liberté sur la toile, et mon appétit du regard se conjugue avec une jubilation de l'errance pour une délectation sans limite.

Je suis responsable de ce que je crée, 
vous êtes responsable de ce que vous voyez.
gp


Mes remerciements à mes galeries, aux centres d'art et Musées qui m'ont exposés, à mes Amis proches et mes collectionneurs, à Laurent Gillard pour son soutien et ses écrits dans les années 90, à tant d'écrivains et philosophes pour leurs livres et leurs rencontres, à mes copains peintres et amis des USA...




_________________________________ traduction en anglais

Painting is an experience to be lived in direct presence.
It must be repeated over and over again — talking about painting can often seem pointless.
The screen or the page offer only echoes or reminders of this experience.
The Appetite of the Gaze
This is not meant to be a discussion of my painting, but rather a brief reflection on my journey and a few recurring ideas.
My beginnings were a slow but persistent immersion in the assiduous study of art writings, closely intertwined with thousands of visits to museums and galleries around the world.
My artistic practice has been marked by unwavering perseverance and an obsessive quest for the truth of the “flesh” in painting — aiming to undo representation in order to bring forth a presence, a “pictorial fact.”
Though I am by nature discreet and silent, I have always exhibited my work (except by choice between 1982 and 1992).
Since my first gallery exhibition in 1975, I have shown my work in many cities across the world: Nantes, Dallas, Houston, Strasbourg, Lille, Quimper, Paris, Chicago, New York, Seoul, Brussels, Dubai, etc…
Like in the life of anyone, my life and my work have been inextricably linked to contingency:
the place of birth, the era, the social and cultural environment, fragile health, the materials available on the market, the weight of art history, the art market, financial constraints, etc…
(For example, I had two children in the year I turned twenty — and worked a day job in medical radiology.)
One paints what one is, in spite of oneself, and it is a constant struggle to resist these constraints, for everything is designed to keep one from painting.
Gérard Pairé strives to intertwine his work with the deep, private and secret unpredictability of life:
“The painted form gains meaning, like the painter’s identity, because it is accidental, because it is in constant evolution, because it is suspended — like the estuary that takes on meaning through the rhythm of the tides.” (Gillard, 1996)
I was born on the banks of the Loire estuary — the “territory of emptiness” spoken of by Eastern thinkers;
a place where the lines of perspective diverge, an open space turned toward the sea, toward adventure.
It is a territory that might be the very embodiment of plasticity, profoundly marked by tidal time;
an aesthetic climate where fogs, rains, flows and sand, clouds and their reflections, and the wind create this undifferentiated space — a “floating world” so reminiscent of Chinese painting.
My painting turns toward itself and questions, in action, the inner logic of its own medium.
I sensed — more or less intuitively — the importance of flows, of the subtle exchange between surface and depth, between the finite and infinite of matter.
It seems to me that I am trying to elude this “pictorial surface” to reach a space, an opening onto an unfathomable depth — and to attempt to express Impermanence — a central concept in Buddhist thought.
When an artist begins their work or a painting, they are full of “clichés” — their own, and those of others.
Like some painters of my generation and those who came before (for example, Hantaï, Morris Louis, Helen Frankenthaler, and other American abstractionists), I have “falsely” liberated the pictorial gesture from a certain psychologism, employing the strategy of not having to overwork the painting.
“...The hand, if not angelic, becomes aristocratic: it is no longer labor...”
— excerpt from a booklet on my painting by Laurent Gillard (1996)
Recently (2023), with the return to thermoformed polycarbonates, my process no longer allows the “I” to intervene in the final phase of the work.
There now exists an inorganic line where the poetry of fluids becomes the very object of intention — for a final result that eludes me.
With this irreconcilable process, I produce traces where the “I” disappears — through a fluid painting that seems untouched, free of all marks.
Like the perseverance of the dancer who spares us from seeing the effort and pain it took to reach that grace which brings us such joy.
I become a spectator of something happening before my eyes.
There is a certain elegance in letting the painting make itself, offering a joy of living beyond all else.
By fleeing illustration and narrative, I have sought the unexpected, played with chance, avoided repeating others — and myself.
My constant need to paint is nourished by the joy of being surprised every day by what I create.
“It took me my whole life to learn how to draw like a child,” said Picasso.
I would phrase it a little differently:
I long to feel again the intense emotion of the first times.
The absence of self in the face of a painting’s birth:
it is the ambiguity of capturing an eternal first time,
of a being without craft — who, nevertheless, has one.
What of our freedom in a world that seems so fluid, so fast, so predetermined?
Our world is increasingly doubled — and the false often seems more real than the real.
We are witnessing the birth of a Kafkaesque world, “shaped” by AI,
in which we may feel powerless in the face of certain multinational forces.
I claim the body, the real, the texture of painting.
I exhibit it and release it freely onto the canvas,
and my appetite of the gaze joins with a jubilant wandering,
toward a limitless delight.
I am responsible for what I create,
you are responsible for what you see.
gp

Le portrait :-)   par David en 2003

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